Homosexualité : Sur les pas de la communauté LGBT de Bobo-Dioulasso

Publié le lundi 30 mai 2016 à 18h04min

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Homosexualité : Sur les pas de la communauté LGBT de Bobo-Dioulasso

Ils vivent désormais dans la clandestinité à Bobo-Dioulasso. Les homosexuels sont devenus persona non grata dans une ville où ils vivaient pourtant "sans gêne".

Samedi 23 avril, il est 16 heures lorsque nous arrivons à Sikasso-Cira. C’est dans ce quartier que vivaient les homosexuels qui ont été sommés de quitter les lieux. Moussa et Karim* sont assis devant leur porte lorsque nous engageons la conversation. « Si c’était à refaire, nous allons le faire encore et encore », lâche Moussa qui nous indique un domicile dans lequel vivait un membre de la communauté gay.

Virer des homosexuels d’un quartier : pourquoi est-on arrivé à cette extrémité ? Nos interlocuteurs ne manquent pas d’explications. Le quartier, selon certains habitants, était presqu’infréquentable « à cause de ces personnes » et si rien n’était fait, « ce sont les enfants qui allaient en pâtir tant leur comportement était pernicieux ». C’est donc un groupuscule qui s’est levé contre les homosexuels de Sikasso-Cira ce jeudi 28 mai 2015 dans l’après-midi aux environs de 16 heures. « Pourtant, parmi eux, nous raconte Roméo, il y avait ces mêmes marcheurs qui couchent avec les gays ».

En effet, se rappelle-t-il comme si c’était hier : « Ce jour-là, ma sœur m’avait chargé d’une commission. Et lorsqu’elle a vu la foule, elle m’a urgemment appelé au téléphone pour me prévenir. Elle est venue par la suite me chercher à moto et nous sommes allés dans un autre quartier ». A la question de savoir si Roméo a été agressé ou violenté, il répond par la négative.

Plutôt beau garçon, les cils bien coiffés, Roméo a un physique assez attrayant et un style vestimentaire soigné. Il nous accueille dans un café après une petite hésitation. La veille, il n’a pas caché sa réticence à nous parler. Très vite, nous le rassurons sur nos intentions qui n’étaient en rien hostiles. Une fois dans le café, il peine à nous parler. Il se présente tout de même et donne son âge : 21 ans. « J’ai arrêté l’école en classe de 4ème », confie-t-il à voix basse.

Roméo est bisexuel. « Je ne suis pas né avec cette orientation sexuelle. Je l’ai appris comme beaucoup d’autres. Il m’arrive donc d’avoir des relations avec des filles », précise-t-il. Après la chasse aux homos, Roméo et ses camarades se sont réfugiés dans la capitale – Ouagadougou-. Selon son témoignage, plusieurs de ses pairs y sont encore. Il souligne même que l’un d’entre eux a rejoint un pays voisin. « Ça marche bien pour lui là-bas », confie-t-il.

Plus tard, un autre membre de la communauté LGBT (lesbiennes, Gays, Bisexuels et transsexuels) de Bobo nous rejoint dans le café. Tout aussi jeune, il est élève en classe de Terminale, série littéraire. « Je suis plutôt préoccupé par mon examen. Je ne fais plus beaucoup le marché. Je vais rarement dans les boites de nuit » nous confie Martin. Visiblement préoccupé par son baccalauréat, il ne peut tout de même pas s’empêcher de déplorer l’idée d’une marche contre les homosexuels le 28 mai 2015.

D’ailleurs, lâche-t-il : « on se connait dans le quartier. Les gens s’en prennent aux homosexuels oubliant qu’ils sont eux-mêmes leurs clients. Certains faisaient même partie des marcheurs ce jour-là ! ». Roméo, sourire aux lèvres ne veut pas en dire plus. Il sait, lui-aussi, que parmi les marcheurs se trouvaient ses clients. Des hommes qui n’arrêtent pas de lui faire la cour et qui veulent toujours sortir avec lui...

Pas seulement une question de plaisir

La curiosité, l’occultisme et l’appât du gain sont les principales raisons qui poussent des hommes à coucher avec leurs semblables. C’est du reste le témoignage de certains homosexuels rencontrés dans quelques boîtes de nuit à Bobo-Dioulasso. « On ne peut pas tout vous raconter. Le monde du sexe, pire, celui de l’homosexualité est un autre univers. Nous avons affaire à toutes sortes de clients ! Commerçants, hommes politiques, hommes d’affaires, opérateurs économiques, artistes, etc. Si certains sortent avec nous par plaisir, d’autres malheureusement le font à d’autres fins », explique John. Très beau garçon, John est parvenu à un teint clair grâce aux produits éclaircissants. « Quand on est homo, il faut faire la différence avec une petite particularité. Moi j’ai choisi de me dépigmenter. Et ça me plait bien d’avoir un teint clair », confie le jeune homme.

Pourquoi cette chasse aux homosexuels ?

Lundi 25 avril 2016, nous voilà de nouveau dans le quartier Sikasso-Cira. Objectif, chercher à comprendre pourquoi cette chasse aux homosexuels. Nous retrouvons Adama qui campe toujours sur sa position. Visiblement l’homme en veut à mort aux homosexuels. « Je sais où ils habitent. Ils ne sont plus que deux dans le quartier : un vieux et un jeune ». Cette haine envers les homosexuels à Sikasso-Cira est tout de même soudaine. Si l’on s’en tient aux propos d’Alexandre Kaba Diakité, un habitant du quartier, les homosexuels habitent Sikasso-Cira depuis des années. Ils vivaient tranquillement jusqu’à ce qu’ils commencent à recevoir leurs amis de Ouagadougou et de la Côte d’Ivoire. Sikasso-Cira était donc devenu un repaire en matière d’homosexualité.

Pire, poursuit Alexandre Diakité, « ils organisaient même des réunions chez une dame vers le bois d’Ebène ». Le célèbre prêcheur Djaffar Hema, dans ses prêches, ne manquait pas de désigner Sikasso-Cira comme le fief des homos. En plus de l’homosexualité, raconte Alexandre, le phénomène de la pédophilie se propageait également dans le quartier. Cet autre phénomène semble être l’élément qui a mis le feu aux poudres !

Un homosexuel s’est enfermé avec un enfant jusque tard dans la nuit. La goutte d’eau a donc fait déborder le vase, d’où la marche pour interpeller les autorités religieuses et administratives qui ont par ailleurs donné leur avis de soutien pour la marche. Ce jeudi 28 mai, des habitants du quartier ont marché et marqué des haltes devant les domiciles et lieux de réunion des homosexuels.

Ces marcheurs avaient-ils des preuves qui confirmaient l’orientation sexuelle des personnes incriminées ? « Bien sûr que oui » répondent Alexandre et Adama. A les entendre, ces derniers ne le cachaient absolument pas ! Ils le disaient et le montraient à qui voulait l’entendre ou voir. A travers leur habillement, leur façon de parler et leur comportement, les homosexuels du quartier ne passaient pas inaperçus selon Alexandre Kaba Diakité. En tout cas, depuis la marche, le phénomène a beaucoup diminué dans le quartier.

Aussi, confie M. Diakité, l’objectif de la marche n’était pas de les empêcher de vivre selon leur orientation sexuelle. Il y a qu’à un moment donné, les habitants du quartier craignaient que le phénomène ne prenne une certaine ampleur influençant les enfants. Il n’était pas non plus question que le quartier soit le fief des homosexuels de Ouagadougou et de la Côte d’Ivoire. Selon les habitants, il fallait donc agir pour mettre fin à ce projet. Cependant, Alexandre Diakité reconnait que les homosexuels ont le droit de vivre et d’avoir leur orientation sexuelle, « même si cela est condamné par les religions et contraire aux bonnes mœurs ».

Du mutisme des organisations de défense des droits de l’homme ?!

Au lendemain du 28 mai 2015, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme se sont intéressées à cette « chasse » aux homosexuels. Au nombre de ces organisations, l’ONG REVS+, une structure associative qui œuvre depuis deux décennies pour la prise en charge des personnes infectées par le VIH/Sida. Charles Somé, chargé de mission plaidoyer, droits humains de l’ONG REVS+, indique que son organisation a suivi les événements de Sikasso-Cira. « Nous sommes uniquement une structure de prise en charge médicale et de prévention des IST/VIH/SIDA.

C’est dire que nous accueillons tout individu dans nos centres de santé sans discrimination », fait remarquer Charles Somé. Manifester contre ou pour les homosexuels est un droit. Malheureusement, informe le chargé de mission, ce genre de manifestation est de nature à entraver l’approche "santé pour tous" dans la lutte contre les IST/VIH/SIDA.

Il s’agit d’un problème supplémentaire de santé pour les minorités sexuelles au sein desquelles le taux de prévalence du VIH reste encore très élevé. En 1997, le taux de prévalence était de 7,9 au Burkina. Il est aujourd’hui de 0,9%, selon le rapport de l’ONUSIDA 2015. Le pays des hommes intègres serait donc passé d’une épidémie de type généralisé à une épidémie de type concentré.

En clair, précise Charles Somé, aujourd’hui les acteurs intervenant sur cette thématique du SIDA savent où mettre l’accent pour éradiquer l’infection à VIH au Burkina. Un espoir, puisque l’épidémie pourrait peut-être prendre fin à l’horizon 2030 ! Les marches ou intimidations des homosexuels entravent les acquis de la lutte contre le SIDA. « Nous sommes convaincus qu’à l’horizon 2030, nous pouvons mettre fin à l’infection du VIH, mais on ne pourra le faire en mettant en marge les minorités, c’est-à-dire les hommes qui couchent avec les hommes, les travailleuses du sexe, les utilisateurs de drogue, etc » indique M. Somé qui souligne que manifester contre les homosexuels et les groupes vulnérables les pousse dans la clandestinité. Cela les éloigne des services de soins/traitements et de prévention.

Cette clandestinité fait croitre le risque d’exposition et éventuellement un rebond de l’épidémie du VIH. Ceci du fait de la double vie qui les expose, eux et leurs partenaires, à des risques de contamination. En effet, selon plusieurs acteurs travaillant dans le domaine de la protection sanitaire des gays, la grande majorité des homosexuels se donne à une double vie sexuelle pour tromper la vigilance de la société.

REVS+, pour sa part, prône l’accès aux services de santé pour tous sans discrimination fondée sur le sexe, la religion et l’orientation sexuelle.
Rappelons qu’au Burkina Faso, l’estimation de taille pour les populations des homosexuels et des travailleuses du sexe âgés entre 15 et 49 ans était de 34.060 pour les travailleuses de sexe et 68.314 pour les gays en 2014, selon l’Analyse des facteurs de risques liés au VIH et des écueils à l’accès aux services des travailleuses du sexe et des hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes au Burkina Faso en Mars 2014 (Baltimore : USAID). A Bobo-Dioulasso, ils sont près de 400 LGBT.

Basseratou KINDO
Lefaso.net
*noms d’emprunts
*LGBT (lesbienne, Gays, Bisexuels et transsexuels)

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