La mosquée des sunnites de Orodara a été saccagée

Publié le dimanche 17 juillet 2016 à 10h28min

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La mosquée des sunnites de Orodara a été saccagée

« On ne peut défendre l’indéfendable ! ». Ce cri de révolte a été poussé par Monsieur Djiguemdé, enseignant en maternelle à Orodara et musulman sunnite, après le saccage de la mosquée du quartier Kouarno, dans la matinée du vendredi 15 juillet 2016, par des jeunes Sèmè coutumiers qui avaient vécu comme une provocation l’ajout d’un auvent à la mosquée.

Car le conflit est en justice et, de l’avis des Sèmè, toute exploitation du site aurait dû être suspendue. Dans la foulée de la démolition de l’auvent, la mosquée a été saccagée, les portes et les fenêtres enlevées, l’intérieur vandalisé, et une partie du minaret détruite.

Dans la matinée, le maire UPC nouvellement investi dans ses fonctions, Hervé Konaté, avait rencontré les Sunnites. À l’occasion de cette rencontre mélodramatique [un Sunnite, tant affecté par le conflit, pleurait puis, en transe, se serait dit prêt à tuer du coutumier, nous a relaté un employé de mairie] le mot jusqu’ici retenu pour décrire les coutumiers a été lâché : ce sont des Satan !

Puis, accompagné d’une délégation composée du chef de canton, Traoré Boureïma, du dièron Traoré Gouénée, le chef du village, et de quelques notables, le maire s’était rendu sur le site pour constater l’ajout récent d’un auvent à la mosquée, et tenter de calmer les jeunes coutumiers en colère. Hervé Konaté a demandé aux jeunes un moratoire d’une semaine ou deux, le temps pour lui de “régler l’affaire”, mais ils ont refusé de l’écouter, arguant que cet auvent était l’ultime et inacceptable provocation, et ils l’ont détruit, à peine la délégation avait-elle tourné le dos.

En fin de journée, alors que le maire se préparait à un déplacement vers Bobo, dans l’intention d’y rencontrer El Hadj Djiguenaba Barro, et de solliciter son aide en tant que Sunnite pour une résolution apaisée du conflit, nous l’avons rencontré à proximité du véhicule, apparemment prêt pour le départ.
Il nous a fait part de sa détermination à tout mettre en œuvre pour que les Sunnites acceptent de déplacer leur mosquée et l’école franco-arabe sur un terrain neutre, et a estimé qu’une double erreur avait été commise : l’administration n’aurait jamais dû attribuer cette réserve à l’époque, et les coutumiers n’auraient jamais dû accepter l’édification de cette mosquée.

C’est ainsi que le tout nouveau maire d’Orodara, Hervé Konaté, se retrouve avec une bombe sur les bras. Parviendra-t-il à la désamorcer alors que deux actions en justice sont en cours :
– Un appel des Sunnites de la décision du tribunal de grande Instance de Orodara de non-recevabilité de leur plainte pour “trouble têtu de la propriété” contre le forgeron de dwò Coulibaly Krin, simple maillon de la foisonnante et complexe autorité coutumière du dwò, la religion des Sèmè coutumiers.
– Une procédure d’annulation de l’arrêté d’attribution, déposée par les Sèmè auprès du Tribunal administratif de Orodara.

L’indéfendable est-il défendable ?

Alors que nous parlions avec Monsieur le maire, les représentants du mouvement sunnite local sont arrivés, et Monsieur le maire les a invités à entrer en mairie. Nous sommes allés saluer Monsieur Djiguemdé, pendant que le président du mouvement sunnite local, l’imposant tradipraticien Karifa Traoré, dit Karifa Bâ, nous foudroyait du regard, comme si nous l’avions trahi, ou trompé, et que deux Sunnites tentaient de nous photographier.
C’est en lui serrant la main que le cri du cœur de Monsieur Djiguemdé nous a été adressé, « on ne peut défendre l’indéfendable ! », comme un reproche parce que nous aurions pris le parti des Sèmè lors de l’enquête que nous avons menée sur le conflit qui oppose les Sunnites aux coutumiers.

“On” nous a reproché notre partialité, mais qu’il soit clair que personne, à part un Sunnite, ne peut être partial face à des Sunnites ! Ces gens-là ne sont pas “comme les autres”. Ils sont persuadés de détenir la vérité, la sunna ; à ce titre le monde devrait leur appartenir, et certains d’entre eux franchissent une “limite indéfendable” pour entraîner le monde non-sunnite dans le chaos.

L’histoire récente de notre pays nous a prouvé que l’indéfendable pouvait cependant être défendu, ainsi l’insurrection d’octobre 2014, qui a donné lieu à des saccages, des destructions de biens privés et publics, a-t-elle été une action, non seulement légitime, mais salutaire pour une écrasante majorité de Burkinabè. Mais, de même qu’il n’y a pas de révolution sans contre-révolution, quand des mondes s’opposent radicalement au point de devenir sourds l’un à l’autre, l’un des deux doit disparaître au profit de l’autre. Et le conflit qui oppose les Sunnites aux coutumiers, à Orodara, relève désormais de cette opposition sans autre résolution possible que la disparition d’un des deux groupes.

Qui doit disparaître pour que la paix revienne ?

Les parents et frères, coutumiers, ou l’enfant terrible sunnite qui met le feu à la maison familiale, et va devant la justice républicaine demander qu’on reconnaisse son droit à trahir ses parents et ses frères, à ses yeux désormais des Satan ?

Pour comprendre cette “esthétique de la disparition”, et comment elle a trouvé à se “résoudre” par le passé, il faut remonter au temps du prophète.

Une correspondance particulière de Jacques Zanga Dubus à Orodara
ozdubus@gmail.com

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